Lasbordes, 4 juin 1715 :

un mariage d’amour ?

Notre aïeul (voir la généalogie ici) Philip1 Saliège (34 ans) et Marguerite Raymond (23 ans) reçoivent la bénédiction nuptiale en juin 1715 dans l’église Saint-Christophe de Lasbordes, après la publication des bans de mariage par 3 dimanches ou jours de fête consécutifs.

Pour Marguerite, il s’agit d’un premier mariage, pour Philip du troisième.

Philip Saliège est né et baptisé le 7 août 1680 à Saint-Papoul, hameau d’un peu moins de 1000 habitants qui possède sur son territoire une abbaye prospère dont l’église est la cathédrale du diocèse.
Ses parents sont Jean Saliège (ca 1639-1694) maître maréchal-ferrant (ou maitre serrurier selon les actes) et Paule Rastouil (ca 1645-1705). Ils sont vraisemblablement nés à Saint-Papoul.

Abbaye et Cathédrale de Saint-Papoul

Philip est le seul enfant connu du couple. Il est maître serrurier à Saint-Papoul.

Le 17 février 1705, il épouse en premières noces à Saint-Papoul Guilhaumette Alibert, née le 15 novembre 1683 à Villepinte dans l’Aude. Le couple a une fille, Antoinette, née le 1er décembre 1705, décédée à l’âge de 15 mois. Guilhaumette décède, sans doute en couches, à l’âge de 25 ans le 18 avril 1709.

Philip se remarie le 2 septembre 1710 à Fontiers-Cabardès avec Claire Bardichon, dont on ne sait rien, sauf qu’elle est la fille de Raymond Bardichon, bourgeois, et de Louise de Saint-Jean (le « de » n’est pas un signe de noblesse : il traduit seulement la filiation). Le couple n’a pas d’enfant connu. Claire décède avant mai 1715.

Donc, le 4 juin 1715 notre ancêtre épouse à Lasbordes Marguerite Raymond, âgée d’environ 23 ans (les registres des années 1690 sont manquants aux archives départementales) fille de Jean Raymond, bourgeois de Lasbordes, et de Marie Guiraud.

Comme il était habituel à l’époque, un traité de mariage est conclu entre les deux familles par l’intermédiaire de Maître Cazalens, notaire à Villepinte. Le traité est signé à Lasbordes, au domicile de la future, le 19 mai dans l’après midi. Philip, « de son bon gré et bonne volonté, promet de prendre pour femme et loyale épouse » Marguerite, laquelle avec le consentement de son père, de Guilhaume son frère, de Pierre Rossignol et Raymond Gazel ses beaux-frères, « promet de prendre pour mari et loyal époux » Philip.

Raymond donne et constitue en dot à sa fille la somme de 300 livres de son chef, la somme de 95 livres du chef de son épouse, et 125 livres du chef des feux Jean Guiraud et Barthélémie Cabailhe, aïeuls maternels de la future épouse, somme léguée à celle-ci par testament.

Première page du traité de mariage de Philip Saliège et Marguerite Raymond.
Archives Départementales de l’Aude – 3E 11456

Il est très difficile d’estimer la valeur actuelle de cette dot de 520 livres au total. Il est certain qu’une dot supérieure à 500 livres est au dessus de la moyenne de ce que l’on peut constater dans la région : la famille est donc aisée. Si l’on se base sur la valeur en or d’une livre tournois à cette époque (0,312 ou 0,38 gr selon les sources) cela correspond à 162,24 ou 197,6 gr de métal précieux, soit au cours actuel (93 €) à 15 à 18 000 euros. Mais si l’on essaye de tenir compte de l’évolution du pouvoir d’achat cela correspondrait à un montant bien plus élevé, entre 52 000 et 78 000 €.

Pour l’instant il n’y rien que de très normal : le contrat n’est pas hors norme dans ses termes pour une famille bourgeoise.

Signatures sur le traité de mariage : les hommes des deux familles étaient lettrés. Les femmes présentes n’ont pas signé, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne savaient pas.
Archives Départementales de l’Aude – 3E 11456

Là où cela devient intéressant, c’est que le même notaire a enregistré quelques jours auparavant, le 13 mai, une donation faite par Marguerite Raymond, épouse de Guillaume Baron, bourgeois de Saint-Papoul, « de son bon gré sans être séduite n’y subornée de personne » à sa nièce et filleule Marguerite Raymond. La donatrice déclare que le traité de mariage entre Philip et Raymonde « étant venu à sa connaissance » et que le dit Philip « ne voulait pas consentir au mariage en raison du peu de bien de la future trouvant d’autres partis plus avantageux quand au bien« , elle voulait, après avoir parlé à Philip Saliège, et « pour faire réussir le mariage faire donation à sa nièce et filleule de deux cents livres » qui seraient remis après son décès et celui de son mari ! Donation à laquelle Philip Saliège a consenti. Les parties ont accepté que cette donation ne soit pas mentionnée dans le contrat de mariage, ou seulement en termes vagues, afin que cette donation « ne viennent pas à la connaissance tant de son mari que de ses parents, ce qui pourrait troubler la paix de la famille » … Les parties « ont promis réciproquement de n’y contrevenir par serment par elles porté en notre présence sur les Saints-Évangiles de notre seigneur« .

Ces 200 livres supplémentaires correspondent, selon la méthode de calcul, à environ 5 à 7 000 € (valeur or) ou de 20 à 30 000 € (pouvoir d’achat).

Début de la donation faite à Marguerite de Raymond par sa marraine.
Archives Départementales de l’Aude – 3E 11456

Cette donation masquée montre bien l’ambivalence gérant la vie des femmes de l’époque : libres de gérer, parfois même à l’insu de leurs maris, leurs biens propres (en général obtenus par héritage), et soumises à la tradition qui considère le mariage comme un acte presque commercial.

Bref, mariage d’amour ? j’en doute …

Quoiqu’il en soit, Philip et Marguerite ont eu quatre enfants. Le 28 juin 1716 naissent des jumeaux : Marie (décédée le 28 juillet suivant) et Jean. Le 9 mars 1718 nait Jean Baptiste, qui décède en 1727, à l’âge de 9 ans et enfin Guilhaume le 1er décembre 1719. Je n’ai rien trouvé sur ce dernier et ne sais jusqu’à quel âge il a vécu.

Le jumeau Jean Saliège est notre ancêtre. Il s’est marié en 1740 avec notre aïeule Rose Esquieu à Saint-Martin-Lalande, hameau où il a exercé comme officier de santé, maître en chirurgie. Après le décès de Rose (le 12 juillet 1761), il se remarie en 1762 avec Antoinette Colomiès. Il décède à Saint-Martin-Lalande le 26 frimaire an IV (1er décembre 1795) à l’âge de 79 ans.

Philip et Marguerite n’auront que quelques années de vie commune : Philip décède de maladie le 25 janvier 1720 à l’âge de 39 ans et est inhumé dans le cimetière de l’église cathédrale de Saint-Papoul. Marguerite lui survit jusqu’en 1747, et décède le 6 septembre à l’âge de 55 ans à Saint-Martin-Lalande, où elle réside avec son fils Jean.

Reste à savoir quand sont décédés la marraine de Marguerite Raymond et son mari Guilhaume Baron : avant ou après Philip et celui-ci a-t-il reçu la dot cachée ?

mis à jour le 10 août 2025


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